
Frédéric Agid
Trouver sa place/
Après 20 ans dans la communication et la publicité, Frédéric Agid est devenu tatoueur. Mais un tatoueur atypique, qui pratique au sein d’une communauté de coworkers.
Fine moustache soigneusement taillée, cheveux bruns bien peignés, silhouette élancée et entretenue, look étudié,.. À 43 ans, Frédéric est un tatoueur plus dandy que gothique. Depuis deux ans, il reçoit ses clients dans son studio au Remix, rue de Bucarest à Paris, une communauté de coworkers fondée il y a cinq ans et qui accueille 150 personnes. « Travailler ici présente l’avantage d’être indépendant mais pas isolé », explique-t-il. Et d’après Frédéric, cet espace de co-working est le seul au monde à avoir un tatoueur…
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« Après des études de graphisme à l’école d’art Corvisart, j’ai commencé à travailler dans la publicité. J’avais 20 ans, raconte-t-il. Je suis devenu directeur artistique en agence. Puis je me suis mis à mon compte. » Les commandes affluent, Frédéric est débordé. Si bien qu’il décide de créer sa propre agence de communication, Zadig. Spécialisée dans la communication corporate et/ou institutionnelle, elle accompagne les entreprises dans leur communication financière, avec une expertise autour des ressources humaines et l’actionnariat de salariés. À la fois à la création et à l‘administratif de l’agence, Frédéric finit par se concentrer sur la gestion et le management.
Chute
« Je me suis révélé un piètre manager et un mauvais gestionnaire. L’expérience a quand même duré cinq ans, j’avais recruté sept salariés. » Il se réveille un matin avec le sentiment qu’il est tombé dans un tableau excel. C’est le début de la chute.
Je me suis effrité intellectuellement et artistiquement.
Créatif en agence, Frédéric ne se sentait pas à sa place : « Dans ce milieu, tu ne sais pas pourquoi tu fais, tu ne sais pas pourquoi tu défais. » Il était comme un poisson rouge qui se cogne aux parois de son aquarium. « Et quand j’ai eu mon agence, nous passions notre temps à répondre à des appels d’offres : là, on ne savait jamais pourquoi on perdait, et encore moins pourquoi on gagnait. »
Sieste
Frédéric finit par déposer le bilan, « le plus proprement possible ». « J’étais extrêmement fatigué, explique-t-il. J’ai fait une grosse sieste qui a duré plusieurs semaines. En me réveillant, je me suis mis à dessiner. »
C’est le signal : Frédéric se dit qu’il est temps qu’il fasse ce qu’il a toujours eu envie de faire.
Je suis né avec un stylo dans la main. À l’école, j’avais de mauvais résultats, sauf en dessin.
Frédéric dessine, dessine et réalise sa première exposition dans le bar d’un copain. C’est aussi l’époque où il divorce, vend l’appartement où il habitait avec son ex-femme et retourne vivre chez sa mère. « Je n’ai pas réinvesti ma part, ce qui m’a permis de vivre sereinement pendant deux ans. »
Plume
Mais l’argent file et Frédéric reprend peu à peu un statut de graphiste indépendant. En cherchant un bureau, il découvre Remix et s’installe chez eux. « Ils m’ont demandé de faire des tatouages. À l’époque, je travaillais à la plume et cela s’apparentait aux techniques de tatouage. » Frédéric n’est pas tatoué mais il connaît un tatoueur qui va lui donner quelques conseils : s’entrainer sur des oreilles de cochons, se faire son propre tatouage, proposer à des amis de les tatouer gratuitement, se lancer si personne ne porte plainte. Frédéric suit ces consignes à la lettre et s’auto-forme. « J’ai gagné du temps par rapport à l’apprentissage classique. Bien sûr, je me suis heurté à de nombreuses difficultés. Pour les lever, je me faisais tatouer par des professionnels dont la technique m’intéressait. » Aujourd’hui, Frédéric a les deux bras tatoués.
Prévenance
Il commence à tatouer au Remix, rue de Turbigo, le week-end, et continue le graphisme la semaine. « Pour le tatouage, il existe de nombreuses contraintes techniques et sanitaires : on ne peut pas tatouer chez les gens, par exemple. J’ai proposé à Remix de monter un studio de tatouage dans leurs locaux. Ils ont trouvé que c’était une excellente idée. »
Depuis novembre 2016, on trouve Frédéric dans son petit studio en sous sol, rue de Bucarest, une ancienne maison close se plait-il à raconter. Il se fait connaître par le bouche à oreille, a aussi créé un compte Instagram pour diffuser son travail. Grâce à cela, il voit arriver ses premiers clients. « Il est rare de voir des gens avec un seul tatouage. Par contre, j’ai beaucoup de client qui viennent me voir pour leur premier tatouage, précise Frédéric. Je suis alors dans la prévenance. Avant de commencer un travail, j’écoute beaucoup : mon approche est un peu thérapeutique.»
Expression
Pour ce tatoueur atypique, les clients n’hésitent pas à payer plus cher : 450 euros une pièce de 10 cm x 10 cm, parfois jusqu’à 4 000 euros pour toute la surface du dos. « L’idée est d’aller vers ce type de projet car je dispose d’une plus grande surface d’expression et ma relation avec le client est plus riche. Ce qui m’importe, c’est transmettre ma vision du monde. »
L’histoire est en train de rattraper Frédéric : « En tant que graphiste, j’ai longtemps rêvé qu’on m’appelle pour mes valeurs artistiques. Et cela m’arrive maintenant : une marque de gin vient de me demander de faire évoluer son identité visuelle. J’ai redessiné également les 22 arcanes majeurs d’un jeu de tarot et je viens d’être contacté par un éditeur. »
Complétude
Au début de son activité de tatoueur, Frédéric avait peur de s’enfermer dans des facilités graphiques. « Le fait qu’on m’appelle pour du travail en graphisme limite la monotonie : je ne renie pas mon passé professionnel et l’activité de graphisme et de tatoueur se complètent finalement très bien. »
Depuis quelques mois, Frédéric parvient à se dégager un salaire, même s’il est inférieur aux précédentes années.
« Ma vie d’aujourd’hui n’a rien de comparable avec mon ancienne vie professionnelle. J’y intègre pleins de trucs, ma vie d’homme, ma vie de père (Frédéric a deux enfants de 4 et 9 ans), ma vie de copains, etc. Tout cela s’harmonise très bien et est très épanouissant », conclut-il.